Dr. Jean Luc Enyegue, SJPuisque le titre du colloque parlait de « collections », nous avons donc mis l’accent sur les collections archivistiques. C’est cela notre besoin immédiat, la mission de l’Institut Historique. Nous n’apprécierons jamais assez l’initiative elle-même, celle de rassembler des experts académiques, muséologues, historiens, archivistes autour de la question du que faire de l’héritage missionnaire en Europe, alors même que les vocations diminuent, et avec elles, les finances et la possibilité d’entretenir un héritage, souvent devenu lourd.

Pour qui lisent régulièrement nos éditoriaux, nous sommes preneurs, mais des archives. Du moins pour l’instant. Car, l’héritage missionnaire en Europe est complexe, sa gestion un casse-tête pour nos congrégations missionnaires dont beaucoup sont en perte de leur splendeur d’antan. Des questions sont légion. S’agit-il d’un héritage colonial ? Et avec ce qu’une telle identification impliquerait pour le débat idéologique dont l’inconfort secoue la jeunesse d’Europe depuis quelques années. A qui appartiennent ces collections ? S’agit-il d’un patrimoine culturel à caractère public, et dont la gestion, la maintenance, la mise à disposition, sont régulées par des lois de gouvernements locaux, fédéraux, ou européens, dans le respect, on l’espère, des conventions internationales de l’UNESCO ou du Conseil International des Archivistes (CIA) ?

S’agit-il, au contraire, d’un bien d’Église, et dont l’Église et les congrégations missionnaires qui avaient créé ces archives, collecté (acheté, soutiré) ces objets d’art seraient responsables de leur gestion, maintenance, disposition ou restitution ? Et si ladite congrégation est en crise, à la limite d’une éventuelle extinction, où préserver ces biens archivistiques et culturels qui lui étaient propres ? Au niveau des archives/musées ecclésiales créées en synergie avec d’autres congrégations ? Des institutions gouvernementales en Europe ? Des états, ici africains, d’origine ? Ou alors, là où la congrégation et l’Église subsistent ? Dans ce dernier cas, que dire des lois de l’inaliénabilité et du respect des origines des collections ? Que faire si là où justement ces congrégations subsistent, il n’existe pas de structures ni de personnels adéquats pour la gestion d’un tel héritage ? La liste des questions peut être complétée !

Pour notre part, la Compagnie de Jésus, qui mène cette réflexion depuis 2001 au moins, laquelle a abouti à la création de l’Institut Historique en Afrique en 2010, pense à une multiplication de centres historiques qui, justement, peuvent assurer ce travail de collection. Et si pour l’instant, nous nous proposons de prendre des archives ou du moins leurs copies relatives à notre histoire commune, c’est parce qu’elles sont plus gérables.

Nous avons formé, et continuons de former des archivistes pour l’Église de Dieu et la Compagnie de Jésus qui est en Afrique ; nous avons encore un peu d’espace dans nos archives respectives au niveau des provinces et des églises, et en cas de crise d’espace, il y a toujours l’option de la numérisation et d’un usage partagé. Cela est une nécessité économique, identitaire, scientifique, pour l’Afrique, qui n’a toujours pas accès aux sources de son histoire, et s’impatiente.

Et pourtant, force est de constater que, malgré des efforts communs consentis entre les différentes archives de la Compagnie, lesquelles travaillent de plus en plus en synergie et en réseau (cas unique dans le monde religieux africains au sujet des archives), la conversation bloque parfois, limités que nous sommes par des lois d’archivage imposées par les états, et qui, jusqu’au 19e siècle, n’existaient pas encore, ou que d’autres états comme la France ont pu réviser lorsqu’il s’est agi de restituer des œuvres d’art au Bénin. La conversation bloque aussi par manque de moyens matériels, volonté collective de voir certaines collections retournées à l’origine africaine de leur production, et pour beaucoup d’africains, pour cause d’un malaise de la mondialisation qui consacre une certaine indifférence à leur égard. Pour l’Église, c’est pourtant la Compagnie qui ose, et peut, par son expérience, porter d’autres groupes religieux et ecclésiaux vers une attitude pro-active.

Et pourtant, si cet atelier en Allemagne m’a appris quelque chose, c’est qu’il faut justement anticiper la solution à ces problèmes avant que le temps ne nous rattrape, c’est-à-dire, lorsqu’à défaut de vocations et à cours de moyens financiers, la congrégation elle-même se trouve comme paralysée, sans claires alternatives. Une telle anticipation, comme nous le répétons depuis longtemps, supposerait un investissement considérable, pour créer un espace décent là où la congrégation subsiste, espace assez important pour accueillir une quantité importante d’archives, et/ou servir de transit à d’autres collections d’art destinées à des pays et communautés africaines désireux (parfois pas du tout) d’un retour des objets dont ils ont été dépouillés au siècle dernier. Il s’agirait là d’un investissement massif et collectif, qui impliquerait la congrégation tout entière, ou à un consortium de congrégations, l’Église universelle, et qui bénéficierait aussi de la protection des édifices, patrimoines religieux et culturels en temps de guerre.

La dernière fois que l’Institut a songé à un tel projet, le coût s’élevait à environ 5 millions de dollar, un million de plus que l’archive centrale des jésuites aux Etats-Unis. L’exemple américain montre qu’avec un peu de volonté, un tel investissement/sacrifice est possible pour un bien majeur futur ; qui-plus-est pour un continent en pleine croissance démographique, vocationnelle, et en quête d’identité, et dont les jeunes, dans quelques années, comprendraient notre échec à agir comme un autre malheureux héritage d’une rencontre passée vue par eux, à tort ou à raison, sous l’angle colonial. UNESCO ? Gouvernements ? Église ? Congrégation individuelle ou en consortium ? Homme et femmes de bonne volonté ? « Par où aller ? Par où courir ? »

 

En attendant, prions !

 

Par P. Jean Luc Enyegue, SJ – Directeur de l’Institut Historique Jésuite en Afrique